• PÔLE EMPLOIS OU LE DESENCHANTEMENT

    Juste un clic pour la barrière

     

    La place interne est vide en ce mois d'août. Sur cette dalle parking, peu de véhicules : les entreprises tournent en mode vacance. La rue adjacente, au-delà de la barrière mécanique reste encombrée de voitures. Les propriétaires sont tous pour l'heure dans les locaux de Pôle emplois. L'institution ne connaît pas de relâche pas plus qu'elle n'offre de stationnement à ses usagers. Peu loquaces, ces derniers patientent en rang d'oignons pour accéder à un unique double guichet.

    Comme sur la proue d'un bateau, les agents Pôle emplois affrontent La misère du monde. Dans l'attente, les visiteurs profitent des échanges, intériorisent le comportement de leurs compagnons d'infortunes. Comme devant une série, chacun y va de ses pensées traduites en un subtil jeu de regards. Ici, un homme commente la lenteur d'une usagère. Perdue, cette dernière cramponnée au comptoir semble glisser sur l'un des ponts du Titanic. En bon mousse, l'agent Pôle emplois tente en quelques minutes de reconstituer le parcours de cette naufrager, manipulant d'une main experte les quelques documents fournis.

    Comme dans un exercice d'alerte, les mousses enchaînent les cas d'espèce et leur lot d'incertitude. L'émotion doit rester contenue voir être annihilée par la somme des malheurs récités. Comme hermétique, l'attention de ces mousses est focalisée par le lourd choix d'orienter ou de non orienter les personnes vers l'une des cabines qui s'étalent en alvéoles tout au long de la vaste salle administrative. Placide, une femme est ravie d'avoir obtenue un rendez-vous particulier. Peu romantique, l'audience est annoncée par voie de numéros qui s'égrènent en luminescence sur un écran de lead.

     

    L'ordre juste : Mathématique

     

    Comme dans le salon TV d'une maison de retraite, les "invités" patientent devant ce programme pour le moins répétitif mais paradoxalement très interactif. Les visiteurs du jour, sauf à avoir été "convoqué," recherchent des informations, des solutions relatives à leur précaire statut de chômeur. Si la plupart des demandes ont trait au chômage indemnisé, le cas des chômeurs non indemnisés apparaît comme noyé dans cette masse. En ce sens, la fusion entre ANPE et ASSEDIC peut être envisagée comme une marchandisation poussée du phénomène de chômage.

    A l'appui, il s'agit de distinguer socialement le chômeur indemnisé de l'inactif, de placer les uns et les autres dans des institutions différentes. La mise en place du RSA sert ce choix au sens où cette initiative opère à une revalorisation sociale du rmiste tout en poussant les chômeurs de longue durée à sortir des chiffres officiels du chômage. Bien huilé, cette mécanique désocialise, désenchante les antennes de Pôle emplois.

    Certains usagers éconduits au double guichet sont invités à gérer leur situation depuis internet ou par le biais de la plateforme téléphonique. Impressionnant, cet outil propose un numéro unique à quatre chiffres au service des "inactifs et des actifs". Enchanté, l'usager voit dans son éviction du carnet de rendez-vous une véritable chance. En retrait sur le parking, ce dernier est déjà en ligne avec la plateforme. Une voie féminine, sensuelle confirme ; c'est bien Pôle emplois au téléphone.

     

    Un trip zéro huit en quatre chiffres

     

    Au diable le salon TV, vive la liberté du parking et les explications avec la hotline. Pour accéder au saint des saints, le choix téléphonique final, il faut montrer patte blanche. Les numéros d'identifiant personnel sont requis ainsi que le précieux codes secret associés. A la suite, cet usager en règle profite du choix final : "il s'agit d'être perspicace pour enfin parler avec l'un de ces super conseiller". "Pour une inscription dites "inscription", pour une offre d'emplois dites "emplois", pour une indemnisation dites 'indemnisation"" jusqu'au choix final : "enfin pour un recours sur radiation dites "radiation". "Indemnisation". "Vous n'avez pas de paiement à venir". Cette conversation robotique est terminée. Dépité, l'usager retentera sa chance demain plus attentif au spectacle dans la queue du double guichet.

    Dès le lendemain, bien propre, l'agence de Pôle emplois à la barrière fermée attend notre usager ragaillardi d'être parmi les premiers à l'ouverture. En somme une journée dewinner. Bien à propos, une ancienne ANPE "¨Pont de l'Arc" lit l'espoir dans les yeux de Jean Luc. Impuissante cette dernière regagne à la hâte une des alvéoles de travail. En chance et combatif, Jean Luc profite de la salle de TV en serrant dans ses petites mains le cent trente-huit. L'écran affiche pour l'heure le cent trente-six. Comme chez un médecin, l'attente est d'un monotone silencieux. Odette qui repasse vers une pause-café se souvient nostalgique de l'ancienne agence ANPE Brossolette.

     

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    L'ouverture du rideau métallique avec les collègues : toujours les mêmes. Quelques chômeurs habitués, des lèves tôt déjà assis dans l'espace documentation, sorte de CDI aux allures aussi bien anachronique que désuète. Dans la rêverie d'Odette il n'y a pas de fauteuil linéaire antisocial mais des tables rondes qui prêtent à la conversation. Les bureaux ne sont pas des alvéoles mais communiquent. Dans la dernière gorgée de café, Jean Bernard son ancien collègue est tout proche espiègle sur son fauteuil à roulette. Mortel, le retour à la réalité, Odette repasse et pénètre dans l'alvéole numéro 6. Au tableau, s'affiche le cent trente-huit avec un fléchons puis le chiffres 6.

     

    Un saint Bernard bigrement nostalgique

     

    Jean Luc se réveille tel Thémis délivrée par Ulysse, distingué, il se dirige vers l'alvéole ou déjà les diodes ne clignotent plus. "Serait-il trop tard ?".¨Poussant la porte Jean Luc découvre Odette, encore empêtrée dans le système d'admission des personnes. Plutôt barbare, le concept contrôle le très puissant tableau de lead aux numéros. Stoïque, le chômeur 600965R patiente tel l'élève à sa punition. De punition, Odette présente son "bureau trop moderne, qui va jusqu'à rendre les gens invisibles". Peu loquace, Jean Luc écoute cette comédie sociale.

    Dans une tirade gracile, Odette annonce la couleur évoquant son faible pouvoir dans l'institution. Très vite, l'ordinateur est l'interface de partage où déjà Jean Luc revis à découvrir son profil dans le serveur interne. Le diagnostic de radiation est bien confirmé par Odette qui est déjà à l'œuvre pour trouver une astuce. Comme un mécanicien, ce saint Bernard d'Odette regarde, explore, innove sur son clavier cherchant à désactiver le mécanisme de radiation. Ses tentatives sont vaines, Odette regrette les bons tuyaux de Jean Bernard. Au loin, les abeilles sont à l’œuvre dans les alvéoles, un soupir, Jean Luc devra se réinscrire. 


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